Fuite des sujets du bac : «Je ne fais pas ça par plaisir mais pour aider mes camarades»

Fuite des sujets du bac : «Je ne fais pas ça par plaisir mais pour aider mes camarades»

Dans le cadre de la réforme du baccalauréat, des lycéens ont commencé à passer les nouvelles épreuves de contrôle continu, appelées « E3C ». Les sujets sont issus d’une banque de données, fournie par le ministère. Tous les élèves ne passent pas les épreuves au même moment. Les premiers sujets proposés fuitent déjà sur les réseaux sociaux. 

« Si je le fais, c’est pour protester contre cette réforme que je trouve injuste. » Nolan, 17 ans, est en première. Il habite en Guyane, près de Cayenne, et gère un compte Twitter où il publie des sujets ayant fuité dans d’autres académies. 

Depuis le lancement des nouvelles épreuves de contrôle continu au bac (dites « E3C »), chaque lycée choisit ses​ sujets dans une banque nationale ​gérée par le ministère de l’Éducation nationale. Mais les établissements n’organisent pas les épreuves le même jour : les dates d’épreuves s’échelonnent entre mi-janvier et mi-février. Les premiers candidats ont commencé le lundi 20 janvier.

>>> Notre vidéo pour tout comprendre à la réforme du bac 2021 en 1 minute

Depuis, des dizaines de sujets circulent sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, il suffit de taper les mots-clés “sujets – bac – E3C” pour tomber sur des captures d’écrans des épreuves. Sur des serveurs de stockage en ligne (drive), des sujets rigoureusement classés par disciplines et par filières sont disponibles en accès libre. Le compte Instagram @e3c_sujets recense près de 40 000 abonnés.

Nolan a commencé à passer les épreuves de contrôle en continu le 23 janvier. Les sujets divulgués sur les réseaux sociaux trois jours plus tôt l’ont aidé à réviser : « Ce n’était pas possible autrement. Avec le passage au contrôle continu, on n’a juste plus de temps pour préparer le bac. »  Constituer son recueil de sujets est d’une simplicité enfantine. Depuis une semaine, des élèves lui envoient des sujets sur lesquels ils ont planché, par mail, Snapchat ou Twitter.

Tweet de Nolan, lycéen en Guyane.

La fuite, un acte militant 

Sa « base de données » s’élève, pour l’instant, à une centaine de sujets. Un « acte militant », revendique l’adolescent. Le lycéen considère qu’il ne fait rien d’illégal : « Je ne fais que recenser des sujets qui sont déjà en ligne et je n’ai pas peur d’être sanctionné. » L’année dernière, deux lycéens avaient écopé de quarante heures de garde à vue pour avoir divulgué des sujets du bac. 

Nolan l’assure : il ne « pousse pas les autres élèves à la triche avec ce drive. » Il les « aide ». Selon le lycéen, ce nouveau bac est « mal pensé, mal expliqué et stresse beaucoup d’élèves, moi le premier. » Pour lui, il ne s’agit pas d’avoir la meilleure note à l’examen, mais bien d’alerter l’opinion sur une situation « inacceptable ». Il se dit prêt à discuter avec les professeurs de son lycée dans la semaine pour faire front commun face au ministère.

« Je suis dépité mais pas surpris. Ça fait des mois qu’on tente de prévenir le ministère. En vain… » Affichant près de 480 000 abonnés sur Twitter, le dénommé « Monsieur le Prof » enseigne l’anglais au lycée. Il ne se fait pas d’illusions : « Le sujet du bac d’histoire dans mon établissement est déjà en ligne. » Les professeurs alertent sur la possibilité de fuites massives depuis l’annonce de la réforme. 

Un corps enseignant inquiet et désabusé

Le Snes, syndicat majoritaire chez les enseignants du secondaire, a ainsi crié au scandale dans un communiqué : l’accès à la BNS (Banque nationale de sujets) était prévu pour être ouvert à tous les professeurs. Finalement il est restreint au proviseur et aux enseignants que ce dernier habilite. « On se dit que si le ministère avait voulu lui-même organiser les fuites, il ne s’y serait pas pris autrement », commente le syndicat. Pour répondre au problème, le ministère affirme dans une note que « dès qu’un sujet aura été utilisé à un nombre important de reprises, il sera supprimé de la banque. »

Pour le professeur d’anglais, les fuites sont un désastre : cela crée des inégalités entre élèves. « Une perte de qualité du diplôme », déplore Nolan. Le lycéen a l’impression que sa promotion essuie les plâtres. 

Pour tenter d’éviter les fuites, les sujets du baccalauréat ont été envoyés aux établissements le plus tard possible : en décembre 2019. Mais cette mesure n’a pas suffi. Olivier Cuzon, représentant Sud Éducation à Brest, explique au Télégramme : « Le ministère pensait que cette banque de sujets pourrait faire plusieurs années. La réalité, c’est qu’en trois jours, les réseaux sociaux ont permis de tout dévoiler. »

De son côté Nolan persiste et affirme qu’il continuera d’alimenter la base de données en sujets . « Je suis pessimiste. Je ne pense pas que le gouvernement va nous entendre vu qu’il n’écoute même pas les professeurs. Je ne fais pas ça par plaisir mais c’est la seule chose que je peux faire pour aider mes camarades ».

Marc Logelin

Retrouvez les articles de notre dossier sur la réforme du baccalauréat :

Share