Yubo : l’appli de rencontre pour les ados est-elle vraiment sécurisée ?

Yubo : l’appli de rencontre pour les ados est-elle vraiment sécurisée ?

ENQUÊTE. Critiquée ces derniers mois, l’application de rencontre pour les adolescents Yubo assure avoir pris de nouvelles mesures pour limiter la diffusion de contenu inapproprié. Paradox a enquêté : ce n’est pas encore ça.

Pensez-vous que Yubo est un endroit sécurisé pour les mineurs ? « Non », répondent quasiment unanimement les adolescents que nous avons interrogés sur l’application.

Créé en 2015 par trois entrepreneurs français, Yubo réunit 25 millions d’utilisateurs, majoritairement des 13-19 ans. C’est une application de rencontre « amicale » qui cible les adolescents.  « On veut permettre aux ados d’élargir leur cercle social et de rencontrer de nouvelles personnes en ligne », explique l’entreprise qui a atteint un chiffre d’affaires de près de 10 millions de dollars en 2019.

Le Tinder des adolescents

Pourtant, l’application, aussi surnommée le « Tinder des ados », s’apparenterait plutôt à une application de rencontre. Elle est composée d’une partie « live » où les jeunes peuvent avoir des conversations groupées par vidéo ou par écrit, mais aussi d’un espace d’échanges qui permet de choisir, sur la base d’une photo ou d’une vidéo, si l’on veut entrer en contact avec quelqu’un – c’est le principe du swipe (l’action de faire glisser son doigt sur un écran tactile). « Le surnom de Tinder des adolescents vient d’un usage détourné de notre application et du swipe, qui est notre porte d’entrée pour interagir », se défend la direction de Yubo, « mais notre application n’est pas géolocalisée et les swipes ne sont pas genrés. » appuie-t-elle.

Aujourd’hui, Yubo ambitionne de devenir le réseau social le plus sécurisé au monde. C’est autour de ce point que s’articule l’essentiel de sa stratégie de communication. Un challenge ambitieux que la start-up s’évertue encore à relever. Avec plus ou moins de succès.

Propos injurieux, faux profils… La dizaine d’adolescents que nous avons contactés sur Yubo se livrent sans filtre, dans un langage cru et naïf. Léo*, un utilisateur de quinze ans, nous confie ainsi avoir été choqué par certaines discussions live.

« Je veux quitter Yubo car il y a trop d’embrouilles. Il y a beaucoup d’insultes homophobes, ça me casse les couilles. »

Léo*, un utilisateur de 15 ans

Deux jeunes nous ont même affirmé qu’ils entraient régulièrement en contact avec leur dealer via l’application.

Ces nombreuses dérives ont fini par provoquer un tollé au point de pousser le réseau à revoir la sécurité de ses utilisateurs mineurs ces dernières semaines.

« Désormais, les adolescents ont l’obligation de télécharger une photo de leur visage pour accéder à toutes les fonctionnalités de l’application », explique la la direction de Yubo. « Et puis, quand ils sont sur le point de divulguer des données privées, comme leur adresse ou leur numéro de téléphone, dans un chat privé, une fenêtre s’affiche sur leur écran pour indiquer qu’il est dangereux d’échanger des données confidentielles. Ils doivent dire qu’ils souhaitent continuer pour faire l’envoi », précise Yubo.

« J’ai été bannie de Yubo pendant 24h »

Plusieurs mots comme « nu », « drogue » ou « nudes » (photos intimes) ont également été interdits, en même temps que les photos et vidéos dites « inappropriées ». Et le non respect de ces règles entraîne des sanctions. Léa*, 14 ans, en a fait l’expérience il y a quelques jours : « J’ai envoyé une photo à des amis où on voit des gens s’embrasser. Elle a été censurée et j’ai été bannie de Yubo pendant 24h. »

@Yubo. Ce message est envoyé automatiquement aux nouveaux inscrits.

Autre modération : les « lives » sont classés par âge. Les 13-17 ans ne peuvent ainsi pas communiquer avec les plus de 18 ans – l’âge limite étant de 25 ans. Une mesure insuffisante pour l’avocat Eric Scalabrin.« Qu’une fille de 13 ans puisse parler à des hommes de 17 ans n’est pas normal, cela crée des situations malsaines. Sans même parler des prédateurs sexuels qui peuvent facilement se faire passer pour des ados », explique-t-il. « Les créateurs de ce genre de sites n’ont pas assez de moyens pour vérifier les profils de tous les utilisateurs qui s’inscrivent, c’est dangereux. » Des usurpations d’identité qui peuvent être passibles de peines pénales.

Des algorithmes loin d’être infaillibles

Et, en effet, sur Yubo, il est très facile de mentir sur son âge. Maître Jérôme Deroulez, spécialisé dans le droit de la protection des données personnelles, tient à rappeler que si les inscriptions sont autorisées dès l’âge de 13 ans, la majorité numérique est, comme celle sexuelle, de 15 ans.

Nous avons donc créé plusieurs comptes, en mentant à chaque fois sur notre date de naissance.

L’inscription est très simple : pas besoin de papiers d’identité. Il suffit d’un pseudo, d’un mot de passe, d’un numéro de téléphone – qui peut être à chaque fois le même – et d’une photo – pour notre part, un cliché de chat a fait l’affaire. Nous n’avons eu aucun mal à contacter des adolescents de tous âges.

Le réseau social assure cependant avoir mis en place un outil de vérification d’identité. « Lorsqu’un adolescent s’inscrit, Yubo demande l’autorisation parentale d’un adulte qui reçoit un SMS de validation puis doit se prendre en photo. Un algorithme estime si celui-ci est âgé de plus de 30 ans pour certifier le compte de l’adolescent. C’est déjà plus que ce que font la plupart des grandes applications », explique la direction. En théorie. En pratique, n’importe quelle photo d’une personne âgée de plus de 30 ans fonctionne, et impossible de vérifier le lien entre l’adolescent et l’adulte qui valide le compte.

Quant à la modération des images et des contenus, elle existe bien. Aujourd’hui, il est impossible d’envoyer des photos dénudées ou avec du sang, celles-ci sont bloquées automatiquement. Quelques-uns de nos messages n’ont ainsi pas pu être envoyés, et nous nous sommes fait bannir d’un « live » car nous ne voulions pas activer notre caméra. Mais cela reste perfectible.

Et malgré les « algorithmes sémantiques et visuels censés repérer les contenus inappropriés pour les signaler aux médiateurs de l’application », vantés par Yubo, il ne suffit que de quelques minutes à survoler le « live » pour trouver des groupes aux noms sans équivoque. Par exemple, cette conversation regroupant six personnes et intitulée « Les gays sont une atrocité ».

« Dans le contexte de la loi RGPD (Règlement général sur la protection des données, NDLR), il y a une volonté politique de protéger les mineurs de plus en plus importante », explique maître Deroulez. L’avocat espère que ce règlement plus contraignant obligera les applications destinées aux mineurs, telles que Yubo, à aller vers davantage de sécurité numérique.

Juliette Mansour et Inès de Rousiers

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